Tant de chemins peuvent être pris pour parler du bonheur


Les uns et les autres, n’avons-nous pas bien de choses à dire à propos de ce qui semble être pour la plupart d’entre nous le but entre les buts de notre vie, et tout comme le rêveur reste le meilleur analyste de ses rêves, chacun n’est-il pas la personne la mieux placée pour parler de « son bonheur » ?

Certains, cependant, en ont abondamment parlé et nous ont permis de nourrir notre propre réflexion ou nous ont aidé à mieux cerner notre perception du bonheur. Ainsi Boris Cyrulnik traitant d’un merveilleux malheur » et ramenant la sensation du bonheur à notre rapport au temps lorsqu’il affirme : « Sans la mémoire des meurtrissures du passé, nous ne serions ni heureux ni malheureux, car l’instant serait notre tyran ».

Ainsi encore Guy Corneau soumettant notre aptitude au bonheur à notre propre relation dans l’enfance au père ou à la mère, selon que nous sommes aujourd’hui femme ou homme. Cette relation conditionnant notre aisance ou difficulté à construire l’intimité, elle-même considérée par ce même Guy Corneau comme la clé de voûte du bonheur à deux, dans la conjugalité. N’y aurait-il pas que cette forme de bonheur ? Non bien sûr et bien d’autres auteurs ont abordé le bonheur sous d’autres angles.

Un lien me semble pouvoir être fait entre ces différences conceptions du bonheur, c’est son rattachement à l’amour, l’amour dans toutes ses déclinaisons, qu’il s’agisse d’amour de soi ou d’amour de l’autre pour ne parler que de cette distinction.

L’être humain ne semble pouvoir être heureux que dès lors qu’il répare la blessure initiale implicitement liée à sa naissance, celle de la séparation d’avec sa mère. Cette séparation ne se peut que dans la construction du lien suffisament bon avec l’autre, que ce lien prenne la forme d’amour conjugal, d’amitié ou toute forme encore; dès lors que la solidité du lien éprouvée dans l’intime, dans la profondeur de la relation permettrait de lâcher quelque peu ses peurs de la séparation, d’être suffisamment en sécurité, le bonheur serait alors davantage perceptible et donc accessible.

Au risque de m’autoriser des primautés de langage, je dirais alors que le bonheur, dès lors que le lien est suffisamment nourri d’amour, est à portée de… choix !

C’est bien de cet aspect et aussi de créativité que je vais choisir de parler maintenant et des liens qu’il me semble pouvoir faire entre ces différents concepts : amour – bonheur – choix – créativité.

L’amour, dans ce qu’il peut nous aider à accéder au bonheur…; l’amour comme solution réparatrice d’une grave blessure, comme antidote à la peur de la séparation, comme outil premier de résilience face au traumatisme de la naissance.

Amour de soi ou amour de l’autre, des autres ? Amour des autres et amour de soi ?

La première question ne me paraît pas utile d’être posée tant la réponse à la seconde me paraît évidente. Je rejoins la pensée de Will Schutz et de tant d’autres, David Servan-Schreiber, Christophe André pour ne citer que quelques personnes ayant observé, réfléchi et écrit à propos de l’estime de soi, pour dire combien l’amour de soi favorise et même permet, autorise l’amour des autres; il m’apparaît qu’au lieu de s’opposer, ces deux aptitudes ne font qu’au lieu de s’opposer, ces deux aptitudes ne font qu’un, ne sont que la même déclinaison d’une même capacité : celle d’ouvrir son cœur et d’aimer, à commencer par la personne que nous connaissons le mieux et dont nous sommes le plus proche, nous-même. Mais parfois l’estime de nous-même est si faible, l’image que nous avons de notre personne a été si dégradée au cours de notre vie que nous ne voyons même pas l’intérêt de nous apprécier, de nous aimer, nous ne nous en estimons pas digne.
Certains malgré tout vont, à la poursuite du bonheur, tenter de créer des liens, d’aimer d’autres personnes tant bien que mal, parfois maladroitement, parfois sans se rendre compte qu’ils se perdent dasn cet amour à grands coup de négation, d’oubli d’eux-même. Certains même vont parvenir à aimer, dans une certaine mesure,… un temps. D’autres ne pourront pas même s’atteler à cette tâche, celle d’aimer les autres, tant ils ignorent le fait même de s’aimer… d’aimer. Ils ne pourront s’adonner à l’Art d’aimer, si tant est qu’il faille parler d’art-notion chère à Erich Fromm- mais c’est un autre débat.
Quoiqu’il en soit, ces personnes trop habituées à s’aimer, trop engluées dans leurs divers mécanisme de défenses ne feront pas même le choix d’aimer et renforceront alors, souvent à leur insu, leur croyance à propos de leur inaptitude au bonheur; en corollaire, cela leur permettra fréquemment de légitimer leur plainte, leur position de victime face à la vie. Du moins le croient-ils. Mais revenons vers les personnes suffisament nourries affectivement ou vis-à-vis desquelles la résilience aura fait son œuvre, celle qui tissent leurs liens avec les autres de centre à centre, soit encore de cœur à cœur et qui font donc le choix de cheminer vers le bonheur.
Pour celles-là le seul fait d’ouvrir leur cœur, de s’apprécier et d’apprécier la présence, la compagnie des autres n’est pas toujours suffisant, même s’il est vraissemblablement nécessaire; il est souvent utile de faire preuve de créativité pour dessiner, construire notre bonheur. Prenons le cas du bonheur à deux, fortement recherché par la plupart d’entre nous. L’histoire, la littérature, la vie ne témoignent-elles pas du fait qu’ils ne suffit pas d’aimer…pour retrouver le bonheur ? (cf. l’ouvrage de Jacques Salomé : « Je croyais qu’il suffisait d’aimer »). À la condition sine qua non de l’existence de l’amour est souvent utile d’ajouter la créativité.

Pression et défi qui sont deux ressort de la créativité ne viennent-ils pas réamorcer la pompe du bonheur à deux ?

Qui de nous n’a vécu pour soi-même ou n’a vu renaître dans son environnement proche le bonheur de se retrouver, de recréer, de reconstruire une relation après une séparation; ce qui n’avait par le passé pas été pensé, tant c’était impensable, voit le jour, prend forme, est mis en place… fruit d’une créativité stimulé par la pression de la séparation vécue et/ou encore menaçante, le défi de séduire l’autre à nouveau, parfois même l’émulation liée à la silhouette d’un tiers se profilant à l’horizon du couple. En conscience ne pouvons-nous pas décider d’être créatif chaque fois que cela nous semble utile pour faire un pas de plus vers le bonheur. Pour cela deux chose me paraissent incontournables :
• de véritablement en faire le choix au sens où Will Schutz l’entend et l’a développé dans ses séminaires « l’élément humain » et ses ouvrages.
• respecter les règles de la créativité telles que nous les propose Hubert Jaoui pour ne citer que ce seul instigateur de la créativité.
Autorisons-nous donc dans notre quête du bonheur au-delà du fait d’aimer, de développer estime de soi et des autres, à être farfelu, à produire des idées en quantité, à les laisser s’enchaîner les unes autres sans jamais nous critiquer mais en les accueillant toutes avec bienveillance et intérêt… Sans oublier que la méthode la plus efficace, comme dans tout apprentissage -celui du bonheur n’y echappant pas-, est celle des petits pas.
N’avons-nous pas la vie devant nous ?

— Fanny Peyrard